Article paru dans la revue Recto Verseau de février 2008

Libérer sa créativité par la danse et le mouvement: Danser sa vie

Ou comment notre corps nous guide à retrouver notre être spontané

Créativité

Notre monde intérieur est un univers d’impulsions créatives. C’est ce qui se reflète dans les yeux d’un bébé ou d’un jeune enfant à qui on laisse sa liberté d’expression : intérêt, curiosité, et une forte envie d’entrer en interaction créative avec le monde qui l’entoure. Nous venons au monde avec cette créativité.

Peut-être avons nous, pendant les premières années de notre vie, entendu plusieurs fois : « Tiens toi tranquille ! » « Sois sage maintenant ! ». Phrases qui se sont inscrites en nous comme un refus de notre créativité intérieure à  ce moment là  encore bouillonnante et non freinée par la pensée : « C’est impossible ». En grandissant, nous intégrons les injonctions verbalisées ou non verbalisées de notre environnement et apprenons à nous tenir bien. Dans cet apprentissage de la vie sociale, nous perdons parfois le contact avec notre source de vie intérieure. C’est pourtant celle qui nous guide le mieux dans la réalisation de notre potentiel et de nos talents. Coupés de cette source intérieure, nous commençons logiquement à rechercher l’amour et l’attention à l’extérieur.

La nécessité du jeu

Nous retrouvons ce contact par le jeu. Nous laissons derrière nous les critères beau et laid, juste et faux, et les règles culturelles restrictives. La danse devient une exploration créative, un jeu, un lâcher prise qui nous ouvre au moment présent. C’est là  que nous sommes en contact avec notre essence. À l’écoute de notre monde intérieur, ici et maintenant, le mouvement qui émerge est authentique. Ce mouvement est unique, vibrant et profondément créatif.

Nous explorons diverses qualités humaines par le mouvement, au rythme de musiques qui nous inspirent, ce qui nous permet de nous engager corps et âme au lieu d’analyser. L’analyse intellectuelle crée une distance. La création est un mouvement de participation et d’échange avec la vie. Dans ces moments là, nous touchons la vie de façon intime. En ce faisant, nous retrouvons l’enfant que nous étions, avec la maturité glanée entre temps le long de notre chemin.

Le groupe

Le groupe est important dans ce processus, ou comme je l’appelle souvent : la tribu. Nous avons besoin d’être accueilli et perçu dans notre créativité, ce qui a le pouvoir de guérir d’anciennes expériences négatives. Le groupe est enrichissant et libérateur car il est un lieu de partage et de communication en dessous du verbal, au niveau de l’expérience de soi. La créativité de l’un invite la créativité de l’autre.

Lien avec l’intérieur, la sensation

Dans la danse et le mouvement, nous nous réapproprions notre attention et apprenons à la diriger. C’est un instrument humain puissant car tout ce à quoi nous portons notre attention s’amplifie.

Pas à  pas, nous reprenons notre intérêt à l’intérieur et l’ancrons dans notre ressenti corporel. Nous découvrons que ce monde intérieur est un tissu vivant de myriades de sensations corporelles et que celles-ci sont les messagères de notre intelligence somatique. Elles nous guident dans nos décisions et constituent un senseur hautement différencié pour mener notre vie de tous les jours. Notre intuition passe en grande partie par les sensations corporelles. De cette façon, nous lions l’intérêt et la vivacité de notre cerveau à  notre intelligence cellulaire. Nous retrouvons par là une source de vie intérieure qui nous nourrit.

Nous apprenons à nous accompagner nous-mêmes, ou peut-être à  devenir petit à petit le père ou la mère dont nous rêvions, percevant notre processus intérieur sans le juger : sensations corporelles, sentiments, émotions, images, pensées, mouvements, impulsions créatives. Nous pouvons ainsi devenir le réceptacle de notre propre processus d’épanouissement, exprimant celui-ci par la danse.

Tout est en nous, nous n’avons pas besoin d’aller chercher ailleurs. Il s’agit seulement d’ouvrir notre perception à cette richesse intérieure, c’est-à-dire d’écarter lentement nos oeillères ou systèmes de croyances qui nous limitent à une perception de nous-mêmes définitivement plus étroite que ce que nous sommes réellement.

De la nécessité du temps

La créativité a besoin de temps, de temps pour écouter à l’intérieur du silence, dans ce qui nous est encore inconnu, dans ce qui n’est pas encore né ou est en train de naître. C’est par cette écoute que nous nous recréons nous-mêmes, nous ouvrant à notre inconnu. La créativité est l’écoute dans ce qui nous dépasse, dans ce qui est plus grand que nous et trouve son expression à travers nous. Ici une anecdote pour illustrer ce fait qui est l’expérience de beaucoup d’artistes : Un des enfants de Bach lui demanda un jour : « Papa, comment fais-tu pour imaginer autant de notes ? » Ce à quoi Bach répondit : « Mon cher enfant, ma plus grande difficulté est d’éviter de leur marcher dessus quand je me lève le matin. »

Nous sommes tous des processus créatifs en devenir et c’est en écoutant de façon ouverte, sans jugement, que nous pouvons le mieux rendre hommage au processus créatif que nous sommes.

Notre unicité

J’aimerais ici citer Martha Graham, une des principales fondatrices de la danse moderne :

« Il y a une vitalité, une force de vie, une accélération qui est traduite par toi en action. Et parce que tu n’existes qu’une seule fois en tout temps, cette expression est unique. Si tu la bloques, elle n’existera jamais, par aucun médium et elle sera perdue. Le monde ne l’aura pas. Ce n’est pas ton devoir de déterminer si cette expression est bonne, valable, ou de la comparer à d’autres. Ton devoir est de rester fidèle à ton authenticité, de garder clairement et directement ton canal ouvert. »

Le monde ne l’aura pas…Le monde a-t-il besoin de notre expression créatrice ? Cette question peut presque paraître saugrenue dans un monde qui a atteint une dimension si démesurée qu’elle est parfois difficilement gérable pour un être humain.

Don Juan Matus, qui transmet un dicton amérindien dit : « Ne demande pas ce dont le monde a besoin. Demande plutôt ce qui te rend vivant. Puis vas-y et fais le. Car ce dont le monde a besoin c’est d’êtres humains qui sont vivants. »

C’est là où notre processus de créativité devient aussi un acte politique à notre mesure. C’est en réalisant nos talents et ce que nous avons à donner au monde que nous pouvons le mieux participer à la construction du monde meilleur qui nous tient à  coeur.

Catherine Kocher, Tel: 079 217 78 82 / 026 494 06 00, Waldweg 18, 1717 St-Ursen / catherinekocher@bluewin.ch
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